Mercredi 18 mars 3 18 /03 /Mars 19:35
[ Villa Seurat ]
[ 11 décembre 1934 ]
Minuit. (Au diable Fred ! J'ai le mal d'amour. )

[ Anaïs ]

  Depuis ma dernière lettre, j'ai reçu ta lettre du 3 décembre du Barbizon. Avec le chèque ! Je ne suis pas content. Je suis abasourdi. En quatre jours, on ne peut pas gagner tout ce paquet ! Sauf si tu es payée au tarif des analystes. Que diable fais-tu donc ? Depuis ton premier mot, tout me semble incroyable et absurde. Il est vrai que je n'ai jamais vu NY du sommet. Je ne pourrais pas supporte ce monde si dur, si rigide, si insolent que tu sembles accepter.

  Puisque tu me demandes à la fin de ta lettre d'adresser mes lettres à l'hôtel - parce que c'est plus "sûr", etc. -, j'en conclus que Hugo ne viendra pas du tout en Amérique. Car, si j'interprête une phrase comme "on ne monte pas le courrier ... c'est moi qui descend le chercher", cela veut dire simplement que tu continues à me tromper. Vraiment, tu es très gentille. Tu ne mens même pas ouvertement. Il est certain que tu descends chercher le courrier - et c'est pourquoi tu te moques des lettres et des télégrammes adressés chez Kay Brant. Tu as sans doute oublié que c'est l'adresse que tu m'as donnée. Et elle ne sait probablement pas que tu es à New York !

  Anaïs - mes propos doivent te sembler minables, si vraiment tu as fait tout cela pour me plaire, pour m'aider, etc. Mais pourquoi la tromperie ??? Pourquoi ? Ca me rend dingue. Faut-il que tu me trompes aussi ?

  Peut-être, alors que j'écris ces mots, es-tu en train de te promener dans les rues de Williamsburg. Que dois-je donc éprouver, toujours ignorant de tes faits et gestes ? Tout ce que tu m'as écrit n'est que poudre aux yeux. N'essaie pas de m'éblouir, Anaïs. Mets ton tablier de cuisine et laves les feuilles de laitue. Prépare la raie au beurre noir. Dis-moi que tu aimes les gens simpes, les plats simples. Je pleure de te voir devenir "une grande femme d'affaires" et ratisser tout ce pognon. Et sortir tous les soirs dans le "monde". Est-ce que je m'attendais que tu restes enfermée dans ta chambre à broyer du noir ? Non ! Mais je ne m'attendais pas à te voir aimer NY, ou le glorifier, ou prétendre que la ville a besoin d'un poète. Ca sonne tellement américain à mes oreilles - la pire espèce d'américanisme.

  Tout cela est ma faute, je le crains. C'est peut-être parce que j'ai dit un jour que je ne voudrais pour rien au monde quitter ce studio que tu remues ciel et terre pour me permettre de le garde. Mais ce n'est pas pour moi - seulement moi, Anaïs. C'est pour nous. A quoi bon cet endroit merveilleux si tu dois être à l'autre bout du monde et changer d'âme ? La femme que je veux n'est pas celle qui écrit ces lettres - en mousse de champagne et lettres en relief, avec un stylo à plume en or, etc. Le "Toi" que j'aime est celle qui a dit le dernier soir : "N'"invite pas Halasz à dîner. Je veux être seule avec toi."

  Je sais que tu as une nature de caméléon ; mais je connais aussi le noyau immuable qui est en toi. C'est lui que je veux. Ne danse pas autour de moi avec la poudre d'or et des lampions. Sois comme lorsque nous parlions à Louveciennes - comme le jour où la fenêtre était ouverte sur le jardin. Voilà ! Voilà ! C'est toi - et c'est moi.

  Louveciennes n'est pas dans le département de la Seine-et-Oise. Louveciennes est en toi. Tu dois y rester. Nous pouvons construire un palais autour de nous, si tout va bien entre nous.

  Je veux que ça aille bien ! Il se peut que je ne devienne jamais une gloire mondiale, mais je peux t'apporter d'autres richesses.

  Jamais auparavant je ne me suis offert à toi aussi totalement et aussi sincèrement, avec autant de dévotion. Au cas où tu ne comprendrais pas que je fais tout ça parce que je t'aime et ne peux en dire davantage.

  Je ne sais pas si je t'écrirais une autre lettre - en tout cas pas avant d'en recevoir une de toi plus profonde et plus convaincante.

  Voici donc cette lettre, en plus de celle du 8 décembre adressée à Kay Brant : ç nous porte pratiquement jusqu'à Noël. S'il m'arrivait d'écrire à l'hôtel Barbizon, tu peux être sûre qu'il n'y aurait rien d'embarrassant" dans la lettre. Je connais toute l'histoire de l'hôtel Barbizon. Le grand poète doit être content. Si et quand il vient.

H.

PS. Tous cela me fait plus mal, beaucoup plus mal, mille fois plus mal que ça ne t'en fera jamais.
  Les hommes aussi ont leurs règles, mais le sang ne s'arrête pas automatiquement de couleur. Une rivière bouillonnante coule dans mes veines. Je suis incapable de l'endiguer. J'ai si mal. Crois-moi. Oh ! Merde ! Croire, croire - reste-t-il encore quelque chose à croire ?




 



 
Par blackevil - Publié dans : littérature érotique
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